Les entretiens du CIPAC : Odile Le Borgne, membre du conseil d’administration de l’ANdEA
20 mai 2020
Dans cette édition, Odile Le Borgne, directrice de l'EESAB-site de Rennes, membre du conseil d'administration de l'ANdEA partage avec nous son analyse de la situation.
Depuis les écoles supérieures d'art, quel diagnostic vous est-il possible de faire aujourd'hui sur la situation des artistes dans le contexte de cette crise sanitaire sans précédent que nous traversons ?
Cette période est dramatique pour les artistes, elles et ils étaient déjà pour beaucoup dans une situation précaire et ne connaissent ni l'assurance chômage ni le revenu minimum. Alors l'arrêt de la culture telle que nous la connaissons les frappe de plein fouet. Les écoles d'art et de design comptent de nombreux artistes et auteurs qui y enseignent, mais nous accueillons aussi tout au long de l'année des intervenants extérieurs, artistes, commissaires, critiques, designers, graphistes... qui proposent des workshops, qui participent à des jurys, qui donnent des conférences et qui enseignent dans les cours publics. Il en va de la richesse et de la diversité de l'enseignement en école d'art ; c'est un manque cruel pour les élèves et pour les artistes. C'est aussi une baisse de revenus pour beaucoup.
Plus globalement, le rôle et la place de la culture et donc des artistes nous préoccupent tous dans cette période inédite ; nous aurons pourtant besoin encore plus que jamais d’approches sensibles, de nouvelles formes, de débats et d’émotion artistique.
Quelles sont les mesures de solidarité que les écoles d'art peuvent mettre en œuvre immédiatement ?
Les mesures de solidarité ont été discutées au sein des écoles. Il a été parfois décidé de travailler sur les situations au cas par cas afin de continuer à rémunérer les intervenants artistes dans des situations précaires. Tous les personnels ont été rémunérés y compris de nombreux vacataires étudiant.es. Bien que les diplômes 2020 seront pour partie obtenus par contrôle continu, les écoles ont prévu des rencontres à distance ou décalées à la rentrée entre les étudiants et des professionnels de l'art et du design pour conserver le regard précieux du monde professionnel sur les travaux et les recherches des étudiants, et maintenir le lien indissociable dans la formation entre l'émergence d'une recherche artistique et le positionnement critique.
Que nous dit cette crise de notre secteur, et quelles sont les réformes qui s'imposent aujourd’hui ?
Le secteur des arts plastiques est trop souvent silencieux, invisible dans sa diversité et dans sa précarité, dépassé par les quelques grandes et rares stars de l'art contemporain qui occultent un milieu actif et inventif.
Pour cela, la solidarité au sein de notre secteur est essentielle, et la réflexion sur l'économie des artistes, leurs rémunérations, doit plus que jamais s'activer et produire des solutions pérennes pour que les artistes puissent enfin vivre de leur travail.
Comment les écoles supérieures d'art s'organisent dans le contexte actuel pour faire face à la crise ?
L'ANdEA mène auprès des écoles d'art un travail de concertation en lien avec le ministère de la culture. Cela a été le cas d'abord pour les examens d'entrée ; c'est un peu plus timide pour les tenues des diplômes car les situations sont variées ; les écoles échangent beaucoup, se soutiennent.
Sur le plan pédagogique, les enseignants de pratique et de théorie ont mis au point des enseignements à distance pour maintenir un lien avec leurs étudiant.es. Ces cours et échanges ont été essentiels pour accompagner les élèves eux-mêmes dans des situations délicates, seul.es, parfois sans ressources... Certain.es (en dehors des écoles) aimeraient y voir une nouvelle ère pour l'enseignement à distance ; c’est oublier que les écoles d'art fondent la majorité de leurs enseignements, sur l'expérience de la matière, des techniques, de l'espace, sur l'exercice direct du débat, sur la communauté des gens de l'art. Alors oui le travail a été fait et très bien fait par les enseignants artistes et théoriciens mais ce n'est qu'une pâle réplique de la vie des écoles habitées par les créateurs et les théoriciens. On peut estimer que l'enseignement à distance ne permet d'assurer que 30 % de la formation en école d'art.