Assises 2019
Dans un contexte marqué par de nombreuses actualités en matière de politiques publiques, les assises ont une nouvelle fois démontré l’engagement des professionnels des arts visuels. Les échanges relatifs à la création récente du Conseil National des Professions des Arts Visuels (CNPAV) et aux questions de responsabilité sociétale ont permis de mettre en avant la dimension collective des questionnements au sein du secteur.
4 octobre 2019
Retour en images sur les quatrièmes assises du CIPAC
Discours d’ouverture de Pascal Neveux, Président du CIPAC, lors des assises du 4 octobre 2019
Madame Béatrice Salmon, Directrice Adjointe de la Direction Générale de la Création Artistique, représentante du Ministre de la Culture, chère Béatrice, merci de votre présence et de votre mobilisation à nos côtés en région si importante pour nous tous ;
Mesdames et Messieurs les Présidentes et les Présidents des organisations professionnelles membres du CIPAC, chers collègues, chers amis ;
Mesdames et messieurs les professionnels des structures et des réseaux, chers collègues et amis ;
Mesdames et messieurs les représentants des organisations professionnelles et syndicales d’artistes et de diffuseurs,
Mesdames et messieurs les représentants de la DGCA, des collectivités territoriales, qui sont à nos côtés au quotidien et nos interlocuteurs privilégiés,
Mesdames et Messieurs en vos grades et qualité,
Merci chers collègues en mon nom et au nom de l’ensemble des représentants des organisations membres du CIPAC, d’être venus de la France entière et aussi nombreux, plus de 280 participants pour prendre part à cette journée de mobilisation et d’échanges que j’espère fructueux.
Il y a un peu moins d’un an, le 15 octobre dernier, vous m’avez confié chers collègues la présidence du CIPAC, m’inscrivant dans la continuité des chantiers engagés par Catherine Texier, toujours fidèle au poste en qualité de Vice-Présidente du CIPAC aujourd’hui et que je tiens à remercier chaleureusement pour le formidable travail accompli durant ces quatre années de présidence.
Assurer la Présidence du CIPAC, c’est se livrer à ce pas de côté, qui nous entraîne à découvrir notre secteur d’activité autrement que sous l’angle corporatiste de son réseau d’origine et de ses intérêts particuliers. C’est beaucoup écouter et comprendre les véritables enjeux et défis que nous avons à relever ensemble, collégialement et en totale cohésion de pensées et d’actions.
En 2013, le CIPAC organisait son sixième Congrès à Lyon intitulé « Nécessités de l’Art » et s’accompagnait de la publication d’un livre blanc, qui demeure d’une troublante actualité et acuité en 2019.
Aurélie Filipetti alors Ministre de la Culture y faisait d’ailleurs référence lors de son intervention au Congrès en ces termes "Ensemble, vous avez produit un livre blanc. Ce livre blanc sera notre fil rouge. C’est sur cette base, très riche, que je souhaite que s’appuie votre dialogue avec les services du ministère. Je viens d’ailleurs de l’évoquer avec vos présidents d’associations de professionnels."…
Véritable « collector » tiré à 25 exemplaires mais toujours en ligne, sa lecture aujourd’hui ne peut que nous interroger sur notre difficulté à faire bouger les lignes rapidement. En six ans, notre société a connu de nombreuses mutations sociétales et si la prise de conscience de notre fracture sociale est incontestable, il y a aussi une fracture culturelle, qui ne fait l’objet d’aucune discussion philosophique ou si peu sur le sens de la culture ou son rôle dans notre société, ni de remise en question idéologique. Au mieux, nous restons dans une attitude de démarches corporatistes nourries de doléances parfois vieillottes et décontextualisées, loin de toute ferveur utopiste et de toute idée ou proposition véritablement réformatrice.
À l’heure où les questions de démocratie participative, d’écologie, de revendications sociales et politiques, d’égalité des sexes et des genres se font particulièrement entendre ; à l’heure où le mouvement des Gilets Jaunes a révélé une France qui souffre et qui ne se reconnaît plus dans ses institutions, il semble difficile de nier, qu’une des solutions pour élever notre société, réside dans le dialogue, le respect, la concertation et l’écoute de l’autre.
La mobilisation de notre fédération CIPAC et de nos différents réseaux territoriaux constitutifs, à une échelle régionale et nationale, doit nous permettre de nous inscrire dans la démarche d’une société plus juste, plus à l’écoute des besoins et des attentes des uns et des autres, plus respectueuse de l’environnement écologique et social dans lequel nous évoluons. Pour comprendre et faire évoluer notre écosystème de l’art contemporain, il faut restituer tout ce qui est autour de celui-ci et qu’on ne voit plus. Cette mise à distance relève d’une éthique marquée par le refus de se laisser emporter par le courant dominant et la faculté de remettre en débat nos modes de pensées et d’analyses, parfois trop autocentrés et peu enclin à la critique tout comme à l’autocritique.
Comment dans ce contexte s’étonner de l’absence de la Culture dans nos débats sociétaux, du dernier Grand Débat national, à l’exception de l’initiative privée de Beaux-Arts Magazine et de la Fondation du Patrimoine qui s’était finalisée par la remise des résultats de cette consultation au Ministre de la Culture, Franck Riester.
Comment s’en offusquer alors même que nous, acteurs du monde de l’art sommes le plus souvent silencieux et englués, submergés dans nos projets au détriment de la construction d’un récit généreux et ouvert sur les cultures contemporaines, artistiques, techniques, scientifiques, artisanales, etc… Nous n’avons jamais cessé d’être attentif au Monde, d’ignorer les frontières géographiques, culturelles, artistiques avec un seul et même désir, une seule et même responsabilité : transmettre à tous le goût de la diversité des genres, de l’audace des formes et de la beauté des expressions artistiques contemporaines. La véritable fracture culturelle vient avant tout de l’absence d’un récit culturel fédérateur, au cœur de la crise de sens que connaît l’art contemporain, aucun horizon tracé qui puisse unir les citoyens autour d’une politique culturelle authentiquement nationale et démocratique. L’obsession d’une démocratisation culturelle a certes donné lieu à de nombreux plans et autres initiatives plus ou moins heureuses et concertées (je ne citerai que le Catalogue des désirs ou le Pass Culture, qui relègue au second plan l’offre gratuite offerte par les galeries d’art, les FRAC, les Centres d’art entre-autres).
Mais cela ne constitue pas un récit commun partagé, au mieux une politique événementielle de l’immédiateté alors que l’on doit s’inscrire dans un temps long. L’espace culturel européen par son identité plurielle, son multilinguisme pourrait être une réponse aux crispations identitaires, au déclinisme et à la crise environnementale. Cette diversité culturelle, il s’agit de la sauvegarder, de la respecter et avec elle les caractères nationaux mais aussi d’approfondir les différences et les complémentarités, d’incarner enfin cette nouvelle polyphonie. Une diversité culturelle nationale est le seul antidote au mal de la banalité et dans la recherche de nouveaux équilibres. Se mobiliser aujourd’hui pour promouvoir la scène artistique française, ses artistes de toutes nationalités, c’est affirmer et démontrer que nous sommes aujourd’hui forts de nos différences et montrer à quel point la scène artistique en France au cœur de l’Europe est d’une incroyable vitalité.
Face au verrouillage du politique par la finance et l’hyper connexion, et contre la « déclinologie » ambiante et l’autodestruction écologique, l’espace culturel européen pourrait être une réponse audacieuse. Peut-être la seule qui prend au sérieux la complexité de la condition humaine dans son ensemble, les leçons de sa mémoire et les risques de sa liberté.
Ces quatrièmes Assises ont quelque chose à voir avec la mémoire. Qu’elle soit celle des origines, celle de nos professions, de nos nouveaux métiers. La mémoire a une fonction : elle donne l’élan, elle fonde une trajectoire, celle d’un homme qui veut habiter le monde dès lors qu’on est « chez soi partout » comme l’affirmait le cinéaste Robert Kramer. Que dit d’elle une société qui fait ses choix par peur, peur de l’étranger, peur de la catastrophe climatique, peur de l’innovation, de l’audace.
Peut-être lui manque-t-elle un recours à la mémoire, cette mémoire qui lui donnerait des racines pour envisager l’avenir.
Nous sommes faits des autres. Vouloir nous en séparer, c’est nous condamner. Les autres, qu’ils soient nos aïeux, des amis, nos voisins, des artistes, des écrivains, des cinéastes, des philosophes, des chercheurs nous construisent jour après jour. Construire le récit de ce qui nous attache aux autres c’est se hisser vers l’avenir. C’est l’envisager avec la force de l’enracinement et le courage de déconstruire nos modes de pensées et d’action pour mieux les reconstruire. Nous ferions bien d’entendre les artistes et nos concitoyens si nous voulons qu’une nouvelle Europe culturelle s’affirme.
Pour inventer des liens nouveaux et favoriser la proximité avec nos publics, nous devons remettre en chantier nos modes de fonctionnement et penser notre avenir avec humilité et responsabilité pour ne pas transformer nos Assises et notre prochain Congrès professionnel à Marseille en un espace stérile de revendications mais le lieu du débat et des préconisations vitales à mettre en œuvre de toute urgence de façon concertée.
C’est d’ailleurs tout l’enjeu de notre prochain Congrès du 1er au 3 juillet au Palais du Pharo à Marseille dans le cadre de la biennale européenne d’art contemporain « Manifesta ».
Trois thématiques seront au cœur de ce Congrès : les mobilités et les enjeux internationaux, a responsabilité sociétale des professionnels des arts visuels et la structuration professionnelle de notre secteur.
Ces différentes réflexions et ces trois axes thématiques seront au cœur du 7ème congrès du CIPAC à Marseille.
Il faut investir sur le long terme, avoir une volonté continue et favoriser la circulation des artistes et de leurs créations, des professionnels pour que nos territoires ruraux et urbains soient reconnus comme des territoires fertiles pour la création, forts d’un tissu associatif d’une étonnante vitalité et fragilité à la fois. Sortons de la dictature des chiffres, des statistiques en tout genre, des évaluations mathématiques pour réfléchir au sens profond de nos actions. Ce sont des valeurs que nous avons à partager avant tout et avec le plus grand nombre, pas uniquement des chiffres désincarnés. Notre quotidien n’est pas fait que de statistiques heureusement.
Annoncer haut et fort que 75% des élèves sont touchés par au moins une action ou un projet relevant de l’EAC, c’est bien mais rien sur les contenus de ces actions réalisées dans une économie très ténue, je tiens à le rappeler par des personnes aux statuts souvent précaires et faiblement rémunérées.
Combien d’articles dans la presse sur la fréquentation des expositions, sur le marché de l’art uniquement sous l’angle spéculatif et combien d’articles sur les projets que nous mettons en œuvre en dehors de Paris toute l’année et dans toutes nos régions sans exception ? Très peu, voire aucun ! Comment dès lors s’étonner de la méconnaissance de notre secteur et de ses acteurs par le plus grand nombre !
Paradoxalement, nous avons besoin de données mais pas celles dont on nous abreuve quotidiennement, des données qui nous permettraient de prendre conscience de la réalité de notre écosystème, de sa riche diversité et capacité d’innovation, d’expérimentation, de son réel poids économique et de ses retombées, de ses milliers d’emplois, de ses métiers nombreux et variés. Cependant notre secteur reste pour le plus grand nombre une nébuleuse, au mieux, un monde clos souvent perçu comme inaccessible et élitiste.
À nous aujourd’hui de faire ce travail pour démontrer ce que les SODAVI depuis leur mise en place ont révélé partout en France : une incroyable richesse culturelle et une inventivité permanente. Bravo à vous tous qui en être les principaux acteurs car là est notre principale force qu’il nous faut partager et promouvoir aujourd’hui avec nos partenaires publics et privés. C’est un chantier important et prioritaire car, nous savons que notre action ne peut se pérenniser que par un dialogue renforcé avec nos élus des communes, intercommunalités, métropoles, départements et régions, pour mieux se connaitre, partager des objectifs communs et trouver ensemble les moyens humains et financiers de les mettre en œuvre.
L’inquiétude est grande, à l’heure où le Ministère de la Culture, 60 ans après sa création, s’engage dans une démarche de transformation globale en quelques mois. Le plan de transformation du Ministère est ambitieux, du moins dans les intentions. Les objectifs sont louables et vertueux et ne peuvent que nous fédérer, nous acteurs de terrain, mais que faut-il en attendre sans moyens financiers supplémentaires dans notre quotidien, dans une dynamique et politique culturelle qui doit être avant tout interministérielle aujourd’hui. La mise en place des labels pour les Centres d’art contemporains d’intérêt national et les FRAC est une mesure forte et nécessaire pour sécuriser ces structures, mais est-ce suffisant aujourd’hui ?
À quelques mois des prochaines élections municipales, on sait combien l’art contemporain sous toutes ses formes fait, de façon récurrente, l’objet de critiques et d’attaques virulentes. Espérons que ces changements annoncés ne monopolisent pas toute l’énergie d’un Ministère de la Culture dont nous avons tant besoin au quotidien à nos côtés et dans un dialogue constructif et partenarial avec l’ensemble des collectivités territoriales.
L’installation par Franck Riester du Conseil National des Professions des Arts Visuels le 18 juin 2019, attendue depuis de nombreuses années, est un signal très positif pour la dynamique collective dans laquelle le CIPAC est fortement engagé.
Il est important de rappeler qu’une demande unanime du secteur existait quant à la création de cette instance et que le CIPAC mais aussi la FRAAP, la Fédération des réseaux et associations d’artistes plasticiens, le CPGA, le Comité professionnel des Galeries d’art et l’USOPAVE, l’Union des Syndicats et organisations professionnelles des Arts visuels et de l’écrit, y ont joué chacun un rôle déterminant.
Nous ne pouvons que saluer l’engagement volontariste du Ministre de la Culture lors de cette séance inaugurale autour : du constat de la fragilité et précarité du secteur et de ses métiers, à commencer par les artistes (le rapport remis au Parlement sur la situation des arts visuels est éloquent à ce sujet) ; son engagement sur le soutien à la création et notamment sur la rémunération des artistes ; la volonté de structuration de l’ensemble du secteur grâce à la concertation mise en place au sein du CNPAV.
Cependant, nous sommes inquiets et composons notre activité à la lumière d’un équilibre toujours plus précaire et d’incertitudes toujours plus nombreuses. Et pourtant nous sommes toujours là pour relever tous les défis, mais à quel prix !
Il faut une sacrée dose de passion et d’investissement personnel pour trouver le temps de la réflexion tout en faisant face aux urgences du quotidien, garder vivante l’envie d’accueillir et de soutenir les artistes, de réfléchir à leurs côtés à la réalisation et à la promotion de leurs projets tout en cherchant les moyens financiers de les concrétiser, de prendre du plaisir tout simplement, de garder la foi dans le sensible et l’inattendu dans un temps toujours plus compressé, qui privilégie la rentabilité à court terme et les effets médiatiques immédiats aux engagements artistiques les plus audacieux et expérimentaux, qui réclament avant tout du temps, beaucoup d’humilité et d’opiniâtreté.
Nous devons être aujourd’hui sur tous les fronts, tout en restant très vigilants et fortement impliqués dans les nombreux chantiers en cours, qui sont décisifs pour nous tous, notamment : la réforme du régime sociale des artistes-auteurs ; la mission menée par Bruno Racine dont nous attendons les conclusions cet automne sur les auteurs et l’acte de création ; la démarche engagée par le Ministère en matière de promotion, de l’égalité, de la diversité et de la parité menée par Agnès Saal -que je remercie de sa présence aujourd’hui et qui interviendra sur la première table ronde ; les réflexions en cours au Parlement sur la décentralisation culturelle et une tentative d'un premier bilan de la réforme territoriale : entre autres la mission Les nouveaux territoires de la Culture menée par le Sénat et la mission d'évaluation de la loi LCAP par l'Assemblée Nationale ; la réflexion sur le statut des enseignants des écoles d'art qui a donné lieu à une mission flash de la part de l'Assemblée Nationale, qui vient de rendre son rapport en juillet dernier.
Nous attendons de ces multiples chantiers que leurs résultats puissent s'inscrire durablement dans la construction des politiques publiques de soutien aux arts visuels.
Il nous appartient aujourd’hui à l’occasion de nos Assises et dans la perspective de notre prochain Congrès à Marseille de nous mobiliser et de travailler ensemble au devenir de notre écosystème et, de fait, de notre scène artistique.
Il nous faut aujourd’hui réfléchir et inventer de nouvelles façons de faire et affirmer la nécessité impérieuse de bouger nos propres lignes et de nous défaire de nos certitudes. Maintenons le cap, malgré les tempêtes qui ne manqueront pas et les coups de vent imprévus pour défendre notre scène artistique, mieux accompagner les artistes et les élus dans leur noble tâche. C’est de dialogue dont nous avons besoin avant tout pour mieux trouver ensemble les moyens financiers de nos ambitions partagées. Nous nous devons de rester mobilisés et solidaires face à ces grandes mutations et une instabilité politique fragilisante.
Cette journée d’échanges est une première étape importante, qui met en perspective notre prochain Congrès. Les mois à venir, à n’en pas douter, seront décisifs et nous devrons redoubler de vigilance et de mobilisation pour affirmer haut et fort l’incroyable potentiel de notre filière à l’échelle locale, régionale, nationale et internationale.
La journée est dense et je tiens à nouveau à remercier dès à présent l’ensemble des intervenants qui vont participer à nos deux tables rondes ainsi que toutes les personnes impliquées de près ou de loin dans l’organisation et la préparation de ces quatrièmes Assises.
Merci à vous tous de votre présence, merci aux intervenants pour vos contributions et votre implication dans la réussite de ces quatrièmes Assises
Je vous souhaite une excellente journée d’échanges et de débats et vous retrouverai avec plaisir en fin d’après-midi pour la clôture de nos Assises.
Pascal Neveux, Président du CIPAC
Quatrièmes assises annuelles,
4 octobre 2019, au Carreau du Temple, Paris